ONDE!

----- par Giancarlo Bresciani ----

-Extase! Une sensation que nous tous, ou presque tous, connaissons, mais d'où doit-on partir pour décrire un vol? Est-on sûr d'intéresser? Ou bien c'est une question de vanité: l'envie de crier aux autres une expérience d'une certaine façon éclatante? Quand on revient sur terre après quelque chose de spécial, on a une envie presque irréfrénable de raconter comment ça s'est passé. Les amis t'écoutent parfois seulement par complaisance, mais si après ils te stimulent en cherchant de savoir, de découvrir les détails alors...alors... peut être qu'on a vraiment fait quelque chose de différent: chance ou calcul? La journée est-elle sortie comme-ça par hasard ou bien parce qu'on suivait constamment la météo pour ce-jour là?
- Je dois écrire sur ce vol - on se dit à chaud; mais après, pour ne pas retomber dans le cliché que j'exprimais au début, on titube, on réfléchit qu'en fin de comptes ç'a été une chose tout à fait normale, même banale...oui, bien sur, absolument banale!
Mais voici notre histoire: une composante déterminante, pour une question logistique, c'est que Gilles Navas, de l'équipe nationale française et ami de Stefano Ghiorzo, cherche à réaliser ses mille kilomètres avec départ et arrivée à Fayence. Si réussir les sept cents de là-bas en été c'est tout à fait normal (en effet ceux qui savent les chercher, les font assez souvent), il est clair, néanmoins, que les mille sont autre chose: il faut beaucoup plus de temps, on ne peut pas attendre le "démarrage" des thermiques, on doit pouvoir décoller avant le lever du soleil et pour le faire on a besoin du mistral.

Vol a voile, planeurs - Fayence

Première partie du vol en onde, disons trois ou quatre cents kilomètres, et puis, quand et si les cumulus apparaissent, et si les deux choses se combinent, ça peut arriver...le retour en thérmique. Mais cela n'est pas encore arrivé! Théoriquement tout est simple mais, en réalité, le mistral ne s'arrête jamais à 11 heures du matin, quand ça nous conviendrait, et donc il nous faut lutter avec la réserve d'oxygène, avec le froid, les dégueulantes, les cumulus qui ne se montrent pas, les attentes pour un passage (traversée) difficile et le retour avant que la nuit ne tombe. Gilles, comme on disait, essaie de réaliser ce type de vol et après le dernier Championnat d'Europe, il partage ces tentatives avec Stefano... De toute façon, ce sont des vols fantastiques, complets et exaltants même s'il peut arriver qu'à neuf heures du matin, comme on a vu plus d'une fois, on soit déjà aux vaches ou, si on a eu de la chance, on prenne le petit déjeuner à la Cantine de l'aérodrome.
Avec ce bagage d'expériences et l'enthousiasme qui ne redoute pas un réveil en pleine nuit, je n'ai pas su résister au charme d'essayer la première partie du vol, celle en onde, en suivant des schémas et des parcours bien connus.
Mais où est-il ce mistral?
17 Août, 9 heures, je croise Gilles à l'aérodrome: il doit se rendre à son boulot à l'Aérospatiale de Cannes:
- Alors, Gilles, on prévoit de l'onde pour demain: qu'est ce qu'on fait? - J'avais entendu les prévisions, la veille sur France 2. Je compris de son expression qu'il n'était pas au courant de cette possibilité, mais, après un instant de réflexion il me répond:

Vol a voile, planeurs - Fayence

- Je vais téléphoner à Saint-Auban dans l'après-midi; si tu me vois ici assez tôt, ça veut dire qu'on peut le faire. Je m'occuperai de prévenir un remorqueur.
Combien de fois en a-t-on parlé - j'ai pensé à ce moment-là, combien de faux départs... mais il faut y croire; le problème ce n'est pas de faire de l'onde, mais de savoir comment, où et peut-être aussi pourquoi...
Pendant ce jour-là pas d'indices de mistral: une normale journée d'été, de la chaleur et un voile léger, mais à six heures du soir Gilles était en train de monter son LS6.
- Monte aussi le tien - m'a-t-il dit quand je me suis approché - Saint-Auban a confirmé la prévision.
- Ne t'inquiète pas - ai-je répondu - je le ferai demain matin, et je serai prêt en un quart d'heure; on peut monter le ASW24 même dans le noir.
Gilles n'avait pas trop l'air de me croire, comme s'il pensait que j'allais me défiler, et pour le rassurer j'ai répété:
- Mon réveil est déjà mis à cinq heures et demie, et mon ami Gaetano Gambini viendra avec nous.
Ce soir même, Gaetano et moi étions invités chez Gérard Wisniewski.
- Regarde donc - me disait Gérard, en me montrant la carte avant de dîner - première montée verticale aéroport, mettons six mille cinq cents ou sept mille mètres.

Vol a voile, planeurs - Fayence

Tu ne trouveras pas des valeurs très élevées, puis, en suivant le sommet de l'onde et en te déplaçant vers nord nord-ouest tu passeras sur le Logis du Pin et continueras jusqu'à Castellane. Là, tu dois prendre un cap légèrement plus à l'ouest, jusqu'à ce que tu arrives près de Barrême - Gaetano aussi écoutait avec intérêt - ton GPS te donnera des vitesses relatives très faibles, sûrement tu auras le vent contraire, à ces altitudes, de plus de cent kilomètres heure - à ce moment Gérard m'a regardé, comme pour constater à quel degré était mon attention. Puis il a continué - Maintenant tu dois te diriger droit vers Saint-Auban. Tu dois être bien résolu: ici tu es en descendance, moins quatre moins cinq, peut être même plus et tu auras l'impression de ne jamais arriver.
Le vent contraire est toujours fort, ta vitesse-sol sera seulement de trente ou quarante kilomètres heure...tu dois te trouver aux Pénitents avec au moins mille cinq cents mètres. Là-bas tu trouveras à monter...
- C'est quoi les Pénitents? - lui ai-je demandé en l'arrêtant
- Les Pénitents de Mées c'est une série de tours très hautes de pierre grise, résultat de l'érosion, et puisqu'elles sont l'une à coté de l'autre, elles ressemblent à des femmes en procession...tu ne peux pas te tromper, elles sont uniques au monde, incomparables.
Etrange nom, ai-je pensé; j'ai l'impression que si on arrive là-bas avec moins de mille cinqcents mètres, c'est le pilote qui va faire sa pénitence...

Vol a voile, planeurs - Fayence

- Si tu n'accroches pas ou si tu arrives trop bas, tu dois atterrir à Saint-Auban - a ajouté Gérard, qui semblait avoir lu ma pensée.
- Une fois que tu as fait de l'altitude aux Pénitents, tu dois te déplacer pas loin à Mallefougasse, au pied de la Montagne de Lure. Ici tu dois chercher l'endroit où la route dessine un "W"; exactement à sa verticale tu retrouveras l'onde, une onde vraiment fantastique qui peut te faire remonter à quatre mètres de moyenne jusqu'aux sept mille et plus. A ce moment - Gérard a continué, avec le ton de quelqu'un qui est sûr de ce qu'il dit - dirige-toi vers l'ouest, tout le long de la ligne de crête de la Montagne de Lure, rejoignant le Mont Ventoux et ici - en indiquant la carte - au pied, sur le coté sud-ouest, il y a Bédoin que tu peux choisir comme point de virage.
- Mais...est-ce qu'on monte le long de la ligne Lure-Ventoux? - lui ai-je demandé
- On ne monte pas beaucoup - a-t-il répondu immédiatement - mais tu auras assez d'altitude pour revenir sur le W de Mallefougasse, d'où, une fois remonté, tu peux aller vers le nord et puis continuer en chevauchant au moins trois ressauts...
- Et après? - l'ai-je interrompu
- Après...après - Gérard a repris, avec un ton différent, sans transmettre la même sensation d'assurance - on verra...peut-être bien qu'il y aura des cumulus, ou des zones couvertes. Si tu veux continuer pour essayer un "sept cents" tu dois virer beaucoup plus au nord, par exemple à Place Moulin au nord d'Aoste, mais ce n'est pas encore suffisant, tu dois faire un papillon...

Vol a voile, planeurs - Fayence

- Après une courte pause Gérard, en me faisant comprendre que ce qu'il disait était une sorte d'invitation, ajouta: - Rappelle-toi que tant que tu es en onde, si tu décides de rentrer, avec le vent arrière, tu auras une vitesse sol indiquée sur le GPS de trois cents, trois cent cinquante kilomètres heure, et tu seras à Fayence très, très rapidement. Ça peut paraître incroyable, mais tu verras que c'est bien comme ça...
Est-ce qu'il y aura de l'onde demain? pensais-je, en écoutant Gérard et en prenant des notes; de toute façon, ce récit vaut presque autant qu'un vol...mais j'ai gardé pour moi ces réflexions...
Plus tard, au dîner sur la terrasse, de temps en temps mes yeux couraient au ciel, il y avait un halo autour de la lune, pas une feuille ne bougeait et rien ne me laissait espérer qu'on aurait cette onde le lendemain...Entre-temps on parlait d'autre chose, le panorama depuis la maison de Gérard est fantastique, naturellement avec vue sur l'aérodrome qu'on apercevait dans le noir au pied de Fayence.
- Mais regarde un peu, Gérard - lui ai-je dit en changeant de sujet et en révélant mon idée fixe - il y a toujours ce halo autour de la lune...
- C'est vrai - m'a-t-il répondu calmement - mais là-bas derrière la pente il y a ce reflet rosé, qui peut-être un indice de l'arrivée du mistral.

Vol a voile, planeurs - Fayence

Gérard avait raison; je m'en suis convaincu une demi-heure plus tard quand le halo a disparu et le ciel a pris, comme par magie, la splendeur typique des nuits très claires.
Le lendemain quand à cinq heures et demie j'ai entendu le réveil, je suis sorti un peu sceptique de ma chambre à l'aéroport et je me suis éloigné du bâtiment, dans un air parfaitement immobile, assez pour admirer la voûte du ciel qui commençait à perdre le noir de la nuit, et j'aperçut bien définie et très élevée, un lenticulaire d'une couleur rosée et brillante, éclairé par le soleil qu'à cette altitude, au dessus de nous, était déjà levé.
- Allez, Gaetano, lève-toi, on y est! il y a de l'onde!
Gaetano me suivait plus endormi que convaincu, et, prêts en un clin d'oeil, nous sommes sortis à l'extérieur où nous avons rencontré Gilles qui découvrait la verrière de son planeur, placé comme d'habitude en ces occasions, sur le coté nord, près de nos chambres, prêt à décoller. Sur le terrain il faisait encore bien noir, et on se repérait seulement avec le reflet du ciel qui s'éclaircissait petit à petit.
Nous venions de prévenir Gilles qu'on allait monter nos planeurs, quand nous entendimes le bruit du Pawnee "GX" que Pierre le remorqueur était en train de faire chauffer.

Vol a voile, planeurs - Fayence

- Gilles, quand tu seras prêt, préviens-nous par radio, qu'on vienne te tenir l'aile. - et comme ça Gaetano et moi nous nous sommes déplacés vers le coté est de l'aéroport, où nos planeurs étaient garés, pour accomplir toutes les opérations préliminaires qu'en ces jours, avec d'autres horaires, on avait l'habitude de faire. J'ai monté l'ASW24, en tâtant dans l'obscurité pour chercher la position des trous pour les pivots, mais, à part ce détail, rien d'anormal. Puisque Fayence, grâce à sa configuration, permet des décollages et atterrissages dans toutes les directions et puisque je partais à une heure de trafic nul, il m'a suffit de tourner mon planeur de 180 degrés en face de la remorque, pour me trouver en position de décollage face à l'ouest.
A coté, Gaetano aussi avait détaché et découvert son DG300 et il était prêt. Maintenant nos yeux s'étaient adaptés au peu de lumière, qui de toute façon augmentait doucement...Un petit contrôle: tout OK! Gaetano est parti pour soulever l'aile de Gilles. En me retrouvant tout seul, j'ai éprouvé une sensation de détente, qui m'a permis d'apprécier la fraîcheur de la matinée, le parfum de l'air propre et l'incroyable silence de ces heures...Mais il n'y avait pas de temps à perdre et pendant que, presque de l'autre coté de l'aéroport et à ma perpendiculaire, Gilles décollait vers le sud, moi je m'installais dans mon planeur. Quelques minutes pour tout vérifier, et déjà je voyais au loin les phares de ma Punto, conduite par Gaetano, qui venait rapidement vers moi pour tenir mon aile. Le premier remorquage avait été très court et déjà le Pawnee descendait et roulait dans ma direction. Entre - temps je suivais le LS6 de Gilles qui, après le larguage, était resté sur la verticale du terrain et montait avec des spirales en S, presque invisible et de la même couleur rosée du lenticulaire qui était au-dessus de nous.

Vol a voile, planeurs - Fayence

- Un mètre et demi intégré sur l'aéroport - et puis... - deux mètres - Gilles nous a communiqué par radio. De toute manière je n'avais pas de doutes: voici le mistral, et en cette aube du 18 Août 1994, je m'y serai plongé.
Trêve de bavardage, il est 6h51, c'est mon tour! Ai-je pensé en regardant ma montre.
- YY prêt au décollage - ai-je annoncé comme d'habitude à la radio. Il était très étrange de voler dans un air si calme et presque dans l'obscurité, avec les instruments qui s'éclaircissaient au fur et à mesure que le planeur montait. Le laminaire commençait très vite, sans qu'aucune turbulence, en montant, l'annonce. J'aurais pu me larguer à quatre ou cinq cents mètres, mais prudemment je suis monté encore un peu. Après le larguage j'ai commencé à monter sans problèmes et j'ai attendu avec un peu d'appréhension le décollage de Gaetano qui, étant le dernier, a été obligé de partir sans aide.
- Tout va bien? - lui ai-je demandé par radio, après l'avoir vu partir.
- Oui, tout va bien! - m'a-t-il immédiatement répondu.
Entre-temps Gérard avait suivi toutes les opérations par radio de sa maison, et quand il a été sur des conditions, il est intervenu pour me dire: - Alors, Giancarlo, maintenant tu peux y aller...-
Voilà, ici se termine le récit de la préparation, mais qu'est ce qu'on pourrait encore raconter de ce vol?
Que moi, pilote de colline ou presque, j'ai trouvé finalement, après environ deux mille heures de vol, l'occasion pour gagner ce dernier diamant qui semblait m'échapper?

Vol a voile, planeurs - Fayence

Et que Gaetano, avec plus ou moins deux cents heures, a été entraîné presque à contrecoeur, mais heureux et émerveillé, à réussir son diamant des "cinq mille"; et il n'y a pas cru, tant qu'il n'a pas vu sur son barographe, encore cliquetant, ce "V" renversé qui couvrait toute la feuille, et qu'il montrait déjà au briefing de neuf heures, ce même matin, aux autres pilotes? Oui, parce que Gaetano a voulu atterrir tout de suite; par contre moi, j'ai continué...
Je peux parler du froid aux pieds...Du spectacle incroyable de l'aube en vol...Je peux dire que la Corse, avec le vent derrière, était à deux pas...et les Alpes? La couleur des Alpes! Et la mer...la couleur de la mer et ce désert qu'était l'air à ces altitudes...Et le temps interminable et la tension dans les descendances pendant le passage entre le sommet d'une onde et le suivant! et la sensation qu'on éprouve en faisant des vols de distance en onde, à ces altitudes...En réalité j'ai déjà raconté le vol pendant sa préparation: tout s'est déroulé comme prévu, avec la seule différence qu'on ne montait pas aussi bien sur le "W". La zone à l'est de Saint-Auban était meilleure parce que, j'ai su après, le vent était de quelques degrés plus à l'ouest que d'habitude.
Ce jour-là les cumulus ne sont pas arrivés...et à 14h14, après plus de sept heures de vol, j'atterrissais pendant que les vélivoles de Fayence attendaient à terre, témoins de la journée classique où les activités thermique et ondulatoire se disputaient...Soit on partait avant que le soleil ne chauffe la marmite soit il était impossible d'accrocher sinon par de longs remorqués!...
Gilles, comme il en a l'habitude, a ensuite atterri au coucher du soleil en ayant fait environ huit cents kilomètres...
Et comme ça j'ai peut-être raconté un de mes vols, pratiquement sans le raconter...J'ai essayé de mettre en valeur ce que ce sport représente en tant qu'expérience collective, au-delà de toute autre considération agonistique ou pseudo. Ai-je réussi?

Une traduction de Nanà Sangiorgi avec le support technique de Michel Trial.

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